Biographie

Elzbieta Sikora

Née en 1943 à Lwów, elle vit à Paris depuis 1981.

Études de composition à Varsovie avec Tadeusz Baird et Zbigniew Rudziński, et à Paris, de musique électroacoustique avec Pierre Schaeffer et François Bayle, puis de composition et d’analyse avec Betsy Jolas. Co-fondatrice, avec Wojciech Michniewski et Krzysztof Knittel, du groupe de compositeurs KEW en 1973. Stages d’informatique musicale à Paris, à l’Ircam, et aux États-Unis au CCRMA de l’université Stanford. Lauréate de plusieurs prix aux concours de composition, Elżbieta Sikora a reçu la croix de chevalier de l’ordre du Mérite de la République de Pologne et elle a été nommée chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres à Paris. Elle a été directrice artistique du festival Musica Electronica Nova à Wrocław de 2011 à 2017.

Elżbieta Sikora n’hésite pas à utiliser les nouvelles technologies dans ses œuvres instrumentales, vocales et électroacoustiques. Son catalogue comporte plus de soixante-dix titres dont plusieurs ont été gravés sur CD. 

Ses œuvres sont éditées chez Polskie Wydawnictwo Muzyczne (PWM). 

Biographie (version longue)

La musique est partout. Dans le souffle du vent,
dans les gouttes de la pluie sur le rebord des fenêtres,
dans le rythme des formes architecturales, dans le vol des oiseaux,
dans les conversations des passagers du métro, dans le bruit des roues sur les rails,
dans le râlement  des machines, dans les cris des foules, dans les paroles qu’on lit.
J’écoute, je cherche. Inlassablement. J’observe, je note, j’enregistre, j’essaye de mémoriser.
C’est ainsi que je recharge mes batteries1.

Née à Lwów, en Pologne (aujourd’hui Lviv, Ukraine) le 20 octobre 1943, Elżbieta Sikora  a commencé son éducation musicale à Gdańsk où elle a obtenu le diplôme du lycée de musique avant de continuer ses études d’ingénieur du son à l’Académie de musique de Varsovie sous la direction de Antoni Karużas, spécialiste légendaire de la prise de son et pionnier dans ce domaine. Dès le début des années soixante, le département d’ingénieurs du son de l’Académie de musique conjuguait musique et technologie selon des méthodes très innovantes. Après avoir obtenu son diplôme à Varsovie, Sikora est allée étudier la composition en musique électroacoustique à Paris, avec Pierre Schaeffer et François Bayle (1968-1970).

Elżbieta Sikora est revenue à Varsovie pour étudier la composition avec Tadeusz Baird et Zbigniew Rudziński à l’Académie de musique. Sa nouvelle œuvre, Widok z okna (Une vue par la fenêtre), réalisée dans le Studio expérimental de la Radio polonaise l’a amenée à fonder avec Krzysztof Knittel et Wojciech Michniewski un groupe de compositeurs, KEW (premières lettres de leurs prénoms). Quelques années plus tard, le groupe présentait au festival Automne de Varsovie une composition collective, Deuxième poème secret, reconnue comme une première œuvre multimédia combinant musique électroacoustique et projection d’images. Considérés comme pionniers en Europe centrale, les membres de KEW ont été invités à se produire dans de nombreux concerts et festivals en Pologne, Suède, Autriche et Allemagne. En tant que compositeur d’avant-garde, Elżbieta Sikora a obtenu les bourses de la ville de Mannheim et de la Fondation Kościuszko à New York, ce qui lui a permis d’étudier avec John Chowning au Center for Computer Research in Music and Acoustics à l’université Stanford. Après la première exécution de La Tête d’Orphée au festival Automne de Varsovie en 1981, Elżbieta Sikora a été invitée à l’Ircam (Institut de recherche et coordination acoustique/musique) en tant que boursière du gouvernement français et elle a décidé finalement de s’établir en France.

De 1985 à 2008, Elżbieta Sikora a enseigné la composition électroacoustique au Conservatoire de musique et à l’École européenne supérieure de l’image à Angoulême, à l’université Paris-Est, Marne-la-Vallée, et la composition à l’université de Chicago. Elle a également donné des cours de composition à Gdańsk, Munich, Hambourg et Ulm. De 2011 à 2017, elle a été directeur artistique du festival Musica Electronica Nova à Wrocław et professeur invité à l’université Frédéric-Chopin à Varsovie. En 1999, elle a obtenu le titre de docteur ès arts à l’Académie de musique de Wrocław. Depuis 1978, Elżbieta Sikora est membre de l’Union des compositeurs polonais.

Dans un entretien à la Radio polonaise, parlant de son intérêt pour la musique électronique tout au long de sa vie, Elżbieta Sikora a déclaré : « J’ai commencé à composer de la musique électronique en 1968, quand elle avait déjà eu une longue histoire et était à son apogée. Depuis, la technologie a beaucoup changé. En 1981, je me suis trouvée à l’Ircam où les ordinateurs étaient alors de très grosses machines. Pour composer, il fallait apprendre plusieurs langues de programmation. Pour la plupart d’entre nous c’était le temps d’attente d’une technologie plus accessible. En effet, elle est apparue très vite. Aujourd’hui, composer de la musique électronique est tellement facile que tout le monde peut le faire. »

Outre la musique électronique, le catalogue de Sikora comporte plusieurs œuvres de musique de chambre, des œuvres pour orchestre, pour voix, ainsi que des opéras. Son premier opéra Ariadne (1977) a été, selon les entretiens donnés par la compositrice, une sorte de compromis car elle pensait à l’époque que cette forme d’expression « n’était plus attractive et ne répondait plus aux attentes du public moderne2 ». Poursuivant ses recherches dans ce domaine, Elżbieta Sikora a composé en 1983 un opéra radiophonique pour voix, ensemble instrumental et sons électroniques, Derrière son double, d’après le texte de Jean-Pierre Duprey. Elle a continué avec un opéra de chambre, L’Arrache-cœur, d’après le roman de Boris Vian, composé en 1986 et réécrit en 1992. Dans une mise en scène de Mariusz Treliński, L’Arrache-cœur a été produit en création mondiale au Grand Théâtre Opéra national de Varsovie, avant d’être présenté en version française à Paris au Centre Pompidou en 1997. Le dernier opéra de Sikora, Madame Curie, a été composé à l’occasion de l’Année internationale de la chimie, et du centenaire du prix Nobel de chimie décerné à Marie Curie-Sklodowska. La première représentation de cette œuvre de grande dimension en trois actes a eu lieu le 15 novembre 2011 à l’Auditorium de l’Unesco à Paris. La première polonaise a eu lieu dix jours plus tard à l’Opéra baltique de Gdańsk. Produit par le label DUX, le DVD Madame Curie a obtenu l’Orphée d’or de l’Académie du disque lyrique (2013). Évoquant la genèse de son dernier opéra, Elżbieta Sikora parle ainsi de la vie de Marie Curie qui est, selon elle :

« un vrai livret d’opéra, donc nous n’avions pas besoin de chercher loin et d’inventer des choses, rien ne devait être embelli ; nous devrions seulement interpréter les faits de sa vie. C’est exactement cela qui s’est passé avec le livret de cet opéra. Bien sûr, nous n’avons pas présenté le curriculum vitae de Marie Curie, nous avons souligné les problèmes qu’elle avait pu avoir. Il est évident que les conséquences apportées en bien et en mal par la science et les découvertes contribuent au progrès du monde ou bien apportent des conséquences négatives. Nous savons tous que tout peut avoir le bon et le mauvais côté y compris les découvertes médicales. Les doutes que Marie Curie avait pu avoir sont la trame principale de cet opéra. Je ne voulais pas montrer la personnalité de Marie Curie telle qu’elle est connue à travers les publications et les livres scolaires : une femme de science qui travaille jour et nuit sur ses découvertes, mais comme un être humain qui s’est promené sur cette terre, qui a eu une vie intellectuelle et émotionnelle très intense sous toutes ses formes. Je voulais la montrer comme un être humain entier, comme une femme accomplie. Cet opéra est une sorte de monodrame avec une Marie présente constamment sur scène. C’est ainsi que je l’ai composé. Outre les commentaires de chœur et quelques interludes orchestraux, Marie chante presque tout le temps. C’est pourquoi Marek Weiss et moi-même nous avons cherché…, en fait nous savions tout de suite qui allait chanter ce rôle. Anna Mikołajczyk a été notre seul choix et je suis ravie qu’elle ait assuré la création de ce rôle titre.3 » 

Certains critiques, dont Weronika Nowak, insistent sur la qualité de la musique vocale de Sikora : « Dans les opéras de Sikora, comme dans ses œuvres vocales, par exemple dans Le Chant de Salomon (1989-1991), les sonorités des parties vocales sont véritablement envoûtantes. La variété des styles et des techniques vocales, comme le bel canto, la mélo-récitation, les chuchotements ou les cris sont utilisés par la compositrice pour créer un ensemble très riche de moyens d’expression allant d’un lyrisme introverti au drame expansif.4 » Chantal Cazaux a elle aussi, en parlant de Madame Curie, souligné la qualité sensuelle de la musique de Sikora :

« La partition d’Elżbieta Sikora est elle aussi bouillonnante, généreuse, souvent percussive et cuivrée – peut-être pour s’approcher de la luminosité mortelle du radium. Elle enveloppe de son énergie le rôle-titre, ne s’appesantit jamais en langueurs inutiles, se colore de touches fines et vives – et plus souvent de graves grondant en pédales anxieuses. Le langage de la compositrice, qui mêle orchestre et informatique, est volubile et nourri, poétique aussi : la déploration de Marie sur le corps de son époux, « Pierre, je veux te dire… », est un bijou d’émotion et de grâce vocale. Car l’écriture vocale de Sikora, pour être ample et bousculée, n’en est pas moins cohérente, mêlant le geste ensauvagé et le mélodisme qui marque l’oreille.5 »

Le langage musical de Sikora semble toujours être à la recherche de la perfection, le processus qu’elle définit ainsi dans un entretien : « Peu à peu j’ai commencé à abandonner l’expérimentation pure et j’ai décidé de retenir dans mon langage musical seuls les éléments nécessaires pour exprimer l’émotion ou l’intensité musicale.6 » La relation de la compositrice au son est souvent inspirée par ses voyages à travers le monde, où Sikora devient archéologue et chroniqueur de l’environnement, baigne dans les sons des rues de Lisbonne ou rêve d’enregistrer les glaciers de Patagonie. Enregistrant et collectionnant les sons, Sikora continue à composer car, dit-elle « je ne sais rien faire d’autre (…). Composer est une quête permanente de quelque chose qui n’a pas une dimension réelle (…), c’est un devoir constant de trouver la forme la plus parfaite pour exprimer dans un langage musical abstrait quelque chose qui brûle profondément en vous d’un feu réel.7 » 

Les œuvres d’Elżbieta Sikora ont été récompensées par plusieurs prix et distinctions dont :
2013 L’Orphée d’or de l’Académie du disque lyrique, Paris, pour le DVD DUX Madame Curie 2013 Médaille Gloria Artis du ministère de la Culture de Pologne
2012 Prix Gryf de la Région de Gdańsk pour Madame Curie
2012 Splendor Gedanensis pour Madame Curie
2012 Prix Sztorm [Tempête de l’Année] (avec Anna Mikołajczyk) pour Madame Curie
2004 Chevalier de l’ordre des Arts et des Lettres, ministère de la Culture, France
2003 Mention spéciale de l’Académie du disque lyrique, Paris, pour Le Chant de Salomon et Eine Rose als Stütze
2000 Künstlerinnenpreis, Heidelberg
1998 Prix Magisterium, Bourges, pour Aquamarina
1997 Croix du Mérite de l’État polonais
1996 Prix SACD Nouveau talent musique, pour L’Arrache-cœur
1994 Prix pédagogique pour Chant’Europe
1994 Prix du Printemps de la Sacem pour l’ensemble de son œuvre
1981 Ier Prix du Concours des femmes compositrices, Mannheim, pour Guernica
1978 IIe Prix du Concours de composition, Dresde, pour Ariadna
1978 Mention spéciale du Concours des jeunes compositeurs, Varsovie, pour …selon Pascal 

La musique d’Elżbieta Sikora s’est fait entendre à travers le monde dans plusieurs festivals : l’Automne de Varsovie, le Printemps de Poznań, le Festival d’Avignon, le Festival Estival à Paris, Synthèse à Bourges, le Festival ICMC à Bucarest, l’Espace du Son à Bruxelles, Fylkingen à Stockholm, Dresden Musik Festspiele, Braunschweig Festival, Berlin Festspiele, Alexandria Festival of the Arts (États-Unis), Bath-Newcastle Festival, Antidogma Musica à Turin, Romaeuropa, Nuova Consonanza à Rome et Milan, Musica Electroacustica à La Havane, Seoul International Computer Music Festival, EMF Festival, et International Festival of Today’s Music à New York. 

Avant d’être exclusivement publiées par Polskie Wydawnictwo Muzyczne (PWM Edition), ses compositions figuraient aussi dans les catalogues de Chant du Monde, Stokłosa Editions et Adriane Verlag. 

Les œuvres d’Elżbieta Sikora ont été jouées ou présentées par : Annabella Gonzales Dance Theater, les Ballets de Monte-Carlo, l’Orchestre Baltique de Gdańsk, le Nouvel orchestre philharmonique de Radio France, Israel Contemporary Players, l’Orchestre Pasdeloup, l’Orchestre philharmonique de Varsovie, l’Orchestre national de la Radio polonaise [NOSPR], l’Orchestre philharmonique de Poznań, l’Orchestre symphonique du NFM de Wrocław, l’Orchestre Poitou-Charentes, l’Orchestre de la ville d’Ulm, la Camerata Varsovia, l’Orchestre Amadeus, l’Orchestre de l’Opéra national de Varsovie, le Danel Quartet, l’Ensemble Aventure, l’ensemble Itinéraire, l’Ensemble 2e2m, Court-Circuit, Kwartet Wilanowski, l’Ensemble du festival de Heidelberg. 

Elżbieta Sikora a collaboré avec plusieurs chefs d’orchestre : Bassem Akiki, Gabriel Chmura, Jean Deroyer, Marzena Diakun, José-Maria Florêncio, James-Alain Gaehres, Jacek Kaspszyk, Jerzy Maksymiuk, Michal Klauza, Wojciech Michniewski, Annick Minck, Zsolt Nagy, Elena Schwarz, Michel Tabachnik, Tadeusz Wojciechowski, Jean Thorel, Pascal Verrot, Antoni Wit, et les solistes : Pierre-Yves Artaud, Jean-Efflam Bavouzet, Elisabeth Chojnacka, Robert Dick, Alexandra Greffin-Klein, Beata Halska, Karine Levine, Jadwiga Kotnowska Adam Kośmieja, Daniel Kientzy, Willem Latchoumia, Anna Mikołajczyk, Ivan Monighetti, Emmanuelle Ophèle, Aurélien Pascal, Lionel Peintre, Valérie Philippin, Linus Roth, entre autres ; plusieurs interprétations des œuvres de Sikora ont été enregistrées par la Radio polonaise, la WDR et Radio France. 

Marek Żebrowski, Polish Music Center, Los Angeles 2016

Elżbieta Sikora. http://manu.nazwa.pl/sikora/index.php
2 D’après la biographie de Sikora sur Culture.pl
3 Burzliwe życie Madame Curie. Entretien de Klaudia Baranowska avec Elżbieta Sikora et Marek Weiss http://www.dwutygodnik.com/artykul/2839-burzliwe-zycie-madame-curie.html
4 Weronika Nowak, Między emocją a abstrakcją. Wokół twórczości Elżbiety Sikory, Meakultura 2013.
5 https://www.asopera.fr/fr/productions/1721-madame-curie.htlm
6 Weronika Nowak, art. cité.
7 Ibid.